On ignore ses origines de celui qu’on a appelé le Pauvre de Lyon, Valdo. La fin de sa vie aussi se perd dans une obscurité totale. On ne sait de lui que ce qui est essentiel…
Autour de 1170 il vit une conversion radicale. Bien que riche et influent, il vit une insatisfaction spirituelle importante. Un matin, alors qu’il festoie avec quelques-uns de ses amis, l’un deux, soudain s’affaisse à ses pieds, foudroyé par une attaque. Valdo rentre chez lui, pâle, saisi d’effroi. « Si c’était moi, se disait-il, qui si brusquement avais été appelé devant mon juge ? L’image de son ami s’effondrant devant lui le hante. Ses nuits deviennent agitées. Si les pauvres, qu’il avait refusé d’aider se mettaient à l’accuser le jour du jugement ?l Un jour, note un autre récit, un ménestrel chante dans la rue la complainte de saint Alexis, jeune Romain ayant tout quitté, le soir même de ses noces, pour se rendre en Terre sainte ; revenu dans sa patrie sous l’habit du pèlerin, il se présente en mendiant aux portes du palais paternel ; on lui jette une maigre pitance qu’il mange dans un recoin, accroupi sous l’escalier ; le lendemain, épuisé par les privations d’un trop long voyage, il ne se réveille pas. Valdo, bouleversé, fait venir le ménestrel chez lui pour l’écouter encore. Une question lancinante monte en lui : ses biens ne font-ils pas obstacle à son salut ? Plus inquiet que jamais, il consulte un maître de théologie. Que faut-il faire pour être sauvé ? Pénitence assortie de prières, de pèlerinages, de donations aux églises… Ou encore d’une entrée dans les ordres, lui répond t-il.
Il veut comprendre, alors il fait traduire l’Evangile en langue romane. Il le litt et vit une conversion radicale. Mais il ne s’agit pas seulement d’une conversion individuelle : il faut que la société et l’Église se convertissent ! Il veut donner l’exemple d’une société différente que l’argent ne domine pas. Ses biens ? Il ne peut en priver sa famille et la jeter sur le pavé. Il assure donc son existence. Mais le reste, tout le reste, il le distribue aux indigents. Il entre en pauvreté. Non certes pour en mériter quelque faveur divine. Il a trop bien compris que le salut est grâce. Simplement, il veut ressembler à Jésus, aller de lieu en lieu pour accomplir sa volonté. Il se met à prêcher, lui qui n’est pas prêtre, dans les rues, sur les places…
On l’écoute. Ce n’est pas un révolté. Ce n’est pas un révolutionnaire. Il ne part pas en guerre contre les pouvoirs. Il dit l’Évangile. Il le vit. Et on se groupe autour de lui. Une petite communauté naît, les « pauvres en esprit », les disciples, de plus en plus nombreux, de plus en plus forts de la Parole qui les nourrit, les anime d’espérance… Bientôt ils partiront, deux à deux, vêtus de bure et les sandales aux pieds, sans argent, au cœur la bonne nouvelle et le contentement d’appartenir au Seigneur et d’annoncer son règne. Mais la hiérarchie ne l’entend pas de cette oreille. Que viendrait faire dans l’Église cette prédication sauvage de laïques ? Ils n’ont pas étudié dans les écoles : comment pourraient-ils expliquer la Bible ? L’interdiction tombe sur eux. Les « Pauvres de Lyon », de vocation certaine en appellent à Rome. Le troisième concile du Latran (1179) les reçoit. Il ne les condamne pas. Il les renvoie, paternellement, à leur évêque. Non sans relever, avec quelque condescendance, leur inculture.
La hiérarchie ecclésiastique se raidit. Elle met ses opposants au ban de la communauté. Elle alerte les pouvoirs. Elle demande la répression, l’excommunication majeure, la jetée de l’interdit sur des régions entières, la croisade. Le pape Innocent III, dans son ambition dominatrice, en ordonne le scénario. D’un côté il tend la main à la France pour faire intervenir le souverain temporel voisin le plus puissant, et les armées du Nord envahissent le Languedoc. De l’autre il envoie Dominique de Guzman sur les lieux pour user de persuasion, prêcher — il fondera bientôt l’ordre qui porte son nom — mais aussi surveiller et examiner la foi des fidèles. Les frères prêcheurs se font alors inquisiteurs. Ils s’érigent en tribunal d’exception. Ils jugent et condamnent. Et le dissident a bien de la peine à leur échapper.
Le Midi est dévasté, les libertés municipales réduites à presque rien, la culture occitane est attaquée, les cathares vaincus. Quant aux Vaudois, persécutés et dispersés à tous vents, ils passent au Piémont, en Lombardie, dans le centre de l’Europe, voire dans le Nord, et jusqu’en lointaine Bohême préparant déjà le mouvement hussite. Surtout, ils se retirent dans ces hautes vallées des Alpes, à cheval sur les frontières, qui deviendront leur patrie et rejoindront à partir du XVIe siècle, la Réforme. Les Vaudois existent toujours en Italie où ils représentent la principale Église protestante.